Voir rouge

J’aime bien l’analyse que fait Michel Pastoureau sur le « rose pour les filles » dans son livre sur les couleurs. Il n’y voit pas un signe de mièvrerie féminine, comme c’est courant, mais au contraire la preuve symbolique qu’une révolution des mœurs a donné du pouvoir aux femmes. Dans l’histoire, le rouge appartient à la force virile, au sang de la guerre, à la pourpre cardinalice. Le bleu était quant à lui signe de douceur, de noblesse, c’est le vêtement de la Vierge. Ce cloisonnement a commencé à se diluer dès la fin du XIXème siècle, alors qu’apparaissaient les premiers mouvements de suffragettes ayant pour emblème le violet, mélange de rouge et de bleu. Lentement, les rapports se seraient inversés, voyant le bleu devenir attribut plutôt masculin et le rouge, féminin. Le rose clair pour les petites filles aussi bien que le bleu pâle des petits garçons ne deviennent que le reflet d’une inversion des pouvoirs au sein de notre société, teintés de blanc, pour la pureté de l’enfance. Il est intéressant de remarquer qu’au XXème siècle, dans la mode, vêtements et cosmétiques – rouge à ongles, rouge à lèvres – ne sont devenus de flamboyants vermillons qu’au tournant des années 70, en même temps que l’émancipation sexuelle des femmes. La symbolique érotique du rouge reste puissante, si l’on en croit les rayons de lingerie bon marché qui exposent ses outrageantes dentelles non loin des pyjamas pour bébés. Comme la couleur des lanternes aux entrées des bordels, le rouge d’aujourd’hui attire le regard, flirte avec le vulgaire. Mais les femmes, donc, auraient symboliquement repris le pouvoir. Le pouvoir de quoi au juste? De leur corps? oui c’est sûrement mieux, bien que leurs entraves, aujourd’hui prétendûment volontaires, restent dictées par la mode et les conventions; De l’argent? évidemment, en mettant les femmes au travail, le marché – qui cherche toujours de nouvelles voies où s’épandre – leur a donné du pouvoir d’achat. Il leur a donc aussi créé de nouveaux besoins, dont l’un, ultime, inaccessible, idéal pour justifier les dépenses les plus folles semble l’amour. Cet amour rouge passionné, si flamboyant, que l’on voit dans toutes les devantures de magasins en ce jour de St-Valentin. Serait-il faux de dire, dès lors, que ce prétendu pouvoir soit l’avènement de l’amour sur le confort?