L’autre jour, la petite a longtemps traîné autour du cabanon. Elle fixait on ne sait trop quoi depuis un moment déjà :
– « Tu as vu, ces branchages, c’est fâcheux, il y a tellement d’espace entre eux que cela fait toute une montagne ! ».
– « oui, ou des cheveux », a-t-elle répondu avant de filer. Va savoir ce qu’il se passe dans la tête des gosses. La lumière a changé, comme obscurcie par l’un de ces nuages rapides qui masquent sans prévenir le soleil du mois d’août. Sa petite présence silencieuse a subitement manqué, elle donnait comme du cœur à l’ouvrage. Sa mère produit aussi parfois cet effet, d’ailleurs elles se ressemblent. Mais son corps s’est affaissé. Le poids des années, et probablement bien des méchancetés.
En bêchant violemment son jardin, elle m’a dit un jour :
– « Vous savez, j’en ai terminé avec les hommes, ils sont tellement lâches ». Elle ne le disait à personne, c’était comme dire « les carottes sont cuites », en soulevant le couvercle d’une casserole dans un nuage de vapeur. Mais c’était aussi triste que ses petits seins vides s’agitant sous son t-shirt en coton délavé.
Chaque semaine, un monsieur arrive puis repart dans un engin rutilant, pas toujours le même, pour accomplir son devoir de père indigne. Il s’accompagne d’une jolie femme, peut-être la même, qui reste patiemment attachée à la place du mort, brune, fine, le genre de beauté banale sauvée par le mouvement de sa jupe évasée et une petite brise de fin de journée sur le parking d’un supermarché.
Leur étrange maison avait été dessinée par un ami, qui venait solennellement déplier ses plans sous la lampe en papier de la cuisine de leur petit appartement de ville. On la voulait originale, à l’image de leur amour. Les hommes, concentrés, faisaient maladroitement tomber les longues cendres de leurs cigarettes sur le papier cartonné, avant de les balayer d’un frottement vif qui y laissait de grandes traces sombres. Elle vaquait à ses occupations, le repas, la vaisselle, ces milliers de petits gestes qui font la tenue d’un intérieur, déjà grosse de l’enfant qu’elle espérait. Elle venait s’attabler pour acquiescer à une option déjà choisie. D’étroites chambres, une grande pièce à vivre, un puits de lumière, plusieurs niveaux. Les autorités communales les contraindraient à revoir leurs ambitions afin que l’homogénéité du cadastre n’en soit pas altérée. Ils avaient dû renoncer à quelques fenêtres obliques, au toit plat qui leur rappelait un voyage en Orient particulièrement marquant, et à la détente qu’offre un paysage dégagé après une longue journée de travail. On planterait plutôt un frêne en guise de tonnelle sur la terrasse en Eternit, au sud, dont le dense feuillage garantirait des repas bien protégés, sauf des guêpes bagarreuses.