II.

Je te vois courbant l’échine entre les feuillages, sous ce ciel dont l’azur se faufile entre les toits. Jolie pelouse carrée bordée de mûriers vérolés. Cette terre ne veut pas de ton eau, jardinier des grandes vacances, c’est à peine si elle mouille l’aridité avant de glisser vers la vase, dans les plis du terre-plein. Crois-tu vraiment qu’en pissant dans ces noisetiers tu retrouveras ta part sauvage ? D’ici, on dirait ce fameux tableau américain, mais sans la femme. Celui où le ciel arrête la colline et tranche l’horizon. L’herbe sèche masque les fissures de cette terre escarpée, oblique. Que veulent dire ces rondes autour de ta maison, d’une part, de l’autre, à guetter en l’air tous les soirs ?
Il était arrivé comme une fleur, plantant des piquets, installant des ruches, menant d’incessants aller et retour comme pour quadriller ce nouvel espace enfin sien. Il expose depuis lors son beau corps tonique à la ronde en transpirant sa solitude. Le voilà qui monte une serre, à grand bruit, blessant le gazon que d’autres avaient mis tant de temps à rendre homogène. D’une façon ou d’une autre, les hommes font tous la même chose : creuser des trous, bâtir des cathédrales, parer l’ennui. Question d’échelle. Mais il lève bien haut sa fourche et perds l’équilibre lorsqu’il bêche. Au pire se cassera-t-il le cou en baladant une fois de trop cette fausse nonchalance sur les tuiles poreuses de son toit. Ou on le verra repartir comme il est venu, après avoir épuisé la terre et ses belles années.
Pour l’heure, tout n’est que mousse. Mousse sur les arbres, sur la terre, dans sa tête. Il y a toujours une agitation, même dans la torpeur, une note, ou un incessant bourdonnement de mouches, ces milliers de mouches qui ne cherchent qu’à s’agglutiner sur les yeux des vaches, ou contre leurs flancs, jusqu’au prochain spasme. Mais l’hiver est rude ici, et cette maison est pleine de courants d’air. Au petit matin, la rosée perle sur les vitres et une brume opaque engloutit le paysage. Il faut sans cesse alimenter le feu pour parer la morsure de ce froid qui attaque les os. C’est une lame qu’aucune lime de verre ne saurait arrêter. Plus rien ne bouge, même le vent ne peut rien contre les monceaux de neige colmatés sur la cime des grands sapins. Les corps se raidissent, et il faut puiser des trésors d’énergie ne serait-ce que pour dégager sa porte. Les fougues de la jeunesse n’ont rien à faire ici, quelque soit la peine que l’on vient y cogner. Il ferait mieux de s’en aller. Trouver une autre occupation, les voyages, la navigation peut-être, qui sauront assouvir cet incessant besoin de mouvements et d’espaces infinis.