VI.

Alors qu’il se déployait en journée sur le guéridon du salon, le soir, on devait sortir cet immense bouquet reçu pour ses trente ans de bons et loyaux services au club des aînés. Il embaumait tant qu’il entêtait. Un lys stargazer s’épanouissait dans quelques branches anodines, dites « verdure », goguenard, presque, d’être si majestueux, il avait tout du démon d’Asie lançant sa langue effilée vers de farouches demoiselles, les pivoines, qui ne tarderaient pas à flétrir leurs jupes vaporeuses en agrégats mous tombant lourdement au pied de ce vase en faux cristal de roche pourtant fort bien imité. Seul le gypsophile tendait entre eux ses petites boules blanches et saurait seul ne rien laisser au temps, vieux garçon dont on devine le destin sec dès éclosion, voué qu’il est à prendre la poussière dans un soliflore sans eau, à attirer les araignées. Elle avait laissé le vilain ruban mauve entortillé à la hâte par une jeune fleuriste croyant bien faire et qui signait de son innocence cette chose que l’on finit parfois par comprendre : la vraie beauté ne supporte aucun ornement superflu.
Mais avant, on enlèverait le napperon en crochet, et le guéridon se transformerait alors en plateau repas, exceptionnellement double puisqu’elle avait de la visite aujourd’hui. Elles iraient ensuite verser une passoire d’épluchures dans le compost au fond du jardin, l’occasion de longer la servitude qu’un cordial voisinage avait plantée d’une haie de lilas, dont les solides grappes lécheraient leurs cheveux en y abandonnant quelques étoiles mauves odorantes. Il fallait passer le fil au bord des barrières, le saisonnier n’était pas assez regardant. On lui laissait cependant le talent d’arranger magnifiquement les rocailles, dont le dégradé de couleur s’apparentait à un savoir-faire qu’elles nommaient « artistique ». Elles avaient poussé la ballade jusqu’au petit banc sous le mélèze qui surplombe le lac, s’étaient assises sur son bois devenu gluant, à regarder les roseaux tanguer dans la lumière déclinante, avant de repartir, humides, préparer la tisane du soir, une verveine odorante qui poussait toute seule sur le talus et dont on ne savait plus que faire.