Un repas

Ils ne se sont pas dit un mot à la table ronde de la pause de midi à quatorze heures trente. C’est parce qu’il restait un client voyez-vous, qui était arrivé un peu tard, et finissait son onglet à point en s’essuyant les doigts sur son journal, puis seulement sur la serviette. C’était l’heure de finir les restes du menu du jour d’hier, qu’on avait mis dans les assiettes à même la table sans set. Ce devait être le patron, forcément ventripotent, mais les deux autres se ressemblaient avec leurs cheveux noir corbeau et leurs pendentifs en or. Des teints qui rappelaient la couleur des murs, et une allure d’avoir beaucoup travaillé, même de dos, avec cet affaissement du corps qui se tient trop bien droit. Une aigrelette chanson de variété passait derrière le comptoir, et on avait déjà éteint les plafonniers de la salle du fond. On mangeait alors ensemble, en silence, dans une atmosphère de prière embarrassée.