Ces messieurs

Six costards sombres et autant d’attaché-cases entouraient leur humour potache autour d’une partie de chibre – celui du jeu de carte vaudois, quoique son sens priapique, plus français, pourrait ici aussi convenir si la scène ne se passait pas dans un restaurant. Ils avaient les masques de ces messieurs d’un autre temps, pas vraiment renfrognés, ni vraiment laids, juste un peu enflé par le genre masculin d’un autre temps qu’ils avaient bien appris. On décelait pourtant encore chez certains quelques manières d’enfantillages. Il y avait le rigolo, dont les épaules sautillaient sous un rire retenu mais faussement gêné d’avoir hurlé en remportant la plie. Le timide aussi, de ceux qui ne renvoient pas facilement un sourire, avec de grosses lunettes des années septante, celles qu’on prête désormais aux tueurs en série et qui soulignent un regard refusant de voir les choses changer.  Le sérieux enfin, plus ridé, bouche pincée, profil retiré assis de biais, dont les longs doigts blancs tapotent nerveusement les cartes avant de jouer. Tous portent un petit écusson à la boutonnière. Des patrons bien sûr, peut-être bien au rendez-vous mensuel d’un genre de confrérie qui n’existera bientôt plus. Quand soudain arrive le dessert dans des coupelles en étain, magie de la couleur dans tout ce gris, le rose des boules de glaces à la fraise rencontrent celui de leurs visages cramoisis.