Le cours du jour

Chère Madame,
dans un excès d’euphorie passé, et bien qu’ayant pris soin de me convaincre depuis les deux semaines qui me séparent de mon inscription qu’il s’agissait d’une riche idée, alors minée par la fatigue et l’esprit wellness du moment – cette glue, ce grand juge de la productivité – j’ai vraiment cru venir, ce dimanche matin de bonne heure, au stage de Qi Qong que vous dispenserez dans une salle au sol mou à une majorité de femmes d’âge mûr. Il y a, chère Madame, qu’hier soir j’ai déposé une jolie théière et de petits bols à thé sur le plancher de ma chambre – ce qui aurait été très zen, sans les débordements du cendrier – avant d’avoir l’une de ces discussions adolescentes, avachies, multiformes, tournoyantes, avec une amie chère à mon coeur. Nous étions sur le lit à l’asiatique, à même le sol, calant coussins et édredon au gré de nos conforts, à égrainer les petits riens qui forment les grandes tragédies de nos vies de presque quarantenaires, les jambes en l’air contre le mur, parfois, pour faciliter nos circulations. La neige qui tombait à gros flocons dehors étouffait un tant soit peu les cris de la ville un samedi soir, et nous percevions à peine les frottements d’un étudiant débordé dans la chambre d’à côté. Aussi, des blocs de glaces tombaient brutalement dans une coupelle en verre déposée au pied du congélateur, au loin. Il s’agissait de réparer l’inadvertance d’un colocataire qui, en ne terminant pas son geste de fermeture, avait brisé la chaîne du froid, tout gâté, et créé une sorte d’avalanche. Un mince filet d’air tiède avait suffit à nécessiter une totale ouverture, un vrai recommencement. Aussi fallait-il aller vider l’excédant d’eau à intervalles réguliers, afin de préserver la moquette beige, peu jolie, qu’un imbécile du passé avait collée à même le parquet de l’appartement. Un jour peut-être aurons-nous le temps, l’argent et la motivation, surtout, de l’enlever, poncer et vernir la beauté du bois que les crissements sous nos pieds nous laissent imaginer. Besogne faite, au retour dans la chambre, l’air vicié était toujours frappant. Neuve du jour et précautionneusement allumée, la grosse bougie jaune que l’étiquette du supermarché annonçait « anti-tabac à l’odeur exotique » n’était, chose peu étonnante, que d’un faible secours. Nous ouvrions alors tout grand la fenêtre pour laisser s’échapper l’odeur de cigarette froide jusqu’à en greloter. Et puis la petite musique reprenait. Confort, inconfort, action, réaction. Je suis à peu près sûre qu’il s’agissait d’apprendre à mieux percevoir ce genre d’effets, ces mouvements dans l’espace et nos corps dans votre cours du jour. Or, puisque j’eus fort en m’endormant le sentiment de gâcher mon temps à apprendre une chose qu’il m’est souvent donné de comprendre autrement, et qu’il me suffisait en fin de compte d’y être attentive pour la mettre en acte, j’ai préféré ce matin me réveiller sans sonnerie, déguster le soleil d’hiver qui cogne sur ma table de travail, ainsi qu’une orange mi-sanguine délicieuse qui vient de méchamment me jaunir les cuticules. J’imagine que mon absence n’aura prétérité que l’équilibre budgétaire de votre séance, et me tiens évidemment à disposition afin de réparer mon faux bond de façon pécuniaire.
Avec mes plus cordiales salutations,
J.H.