V.

Cette enfant est impossible. Pas qu’elle soit vraiment difficile, mais son silence est inquiétant. Depuis toute petite, il lui arrive de fixer on ne sait quoi pendant de longues minutes avec un regard inquisiteur, et les fois où elle a disparu ne se comptent plus. Il avait fallut poser des barrières un peu partout, aux escaliers surtout, de peur qu’elle tombe ou ne s’échappe, mais elle a toujours trouvé le moyen de bien vite les enjamber. Maintenant qu’elle est grande, cela devient supportable, on sait qu’elle fait attention et finit toujours par revenir. Mais tous ces secrets, c’est bien du souci. Elle veut tout faire toute seule. C’est à peine si l’on a pu lui apprendre à traverser la route. De ses yeux sombres émane un air de défit difficile à contrer. Impossible de lui brosser les cheveux, de la tenir propre cinq minutes, une vraie sauvageonne. Inutile de l’obliger à porter de jolies chemises, puisque sa moue boudeuse balaie instantanément leur joli effet, quand elle ne rencontre pas le hasard d’un crochet ou d’une branche pour les déchirer. Dieu merci, elle ne se fait jamais autant de mal qu’elle n’en fait aux choses qu’elle touche. Ses grands yeux plaident toujours son innocence, mais cela le rendait fou. Y avait-il un verre sur la table qu’il fallait qu’il se renverse. A peine lui intimait-on de rester tranquille qu’une force semblait surgir d’on ne sait où, guider ses gestes, et trouver l’axe de parfait en quelques minutes. Il l’appelait Miss Catastrophe, et je me demande si cela n’était pas tout bonnement devenu un jeu entre eux. Mieux valait ne rien dire du tout, mais cela, il ne l’a jamais compris.
La voilà qui gratouille dans le jardin, joue avec de la boue. Elle parsème d’épines de pin une mousse au chocolat imaginaire qu’il faut sempiternellement faire croire délicieuse. Croyez-vous qu’elle coifferait sagement ses poupées à l’ombre sur la terrasse ? Les pauvres n’ont plus de cheveux, et on dirait qu’elle se fait une joie de s’asseoir dans la terre, en plein cagnard, sans chapeau. On peut bien la punir, elle accepte la sentence sans rechigner mais recommence toujours ses bêtises. La semaine dernière, elle a mordu la main de Valentine, un bout de choux, sans raison, avec pour seule explication « quand on mord, on a vraiment envie de le faire très fort ». C’était juste pour voir alors. Elle a couru s’excuser en l’embrassant chaleureusement avant de la prendre par la main pour continuer à aller jouer. L’air contrit, trop parfumée, sa maman est passée boire un café en fin d’après-midi. Ses bijoux dorés cliquetaient sur la table à chacun de ses mouvements, nous avons bien vite parlé d’autre chose, et elle paraissait détendue lorsqu’elle est partie. Va savoir ce qu’il se passe dans la tête des gosses.